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Boursicoter serein ...
L’éclatement de la bulle des valeurs technologiques en mars 2000, et l’effondrement des indices généralistes à compter de septembre 2000, s’ils ont commis de grands dégâts chez les épargnants, ont eu finalement le mérite d’offrir (ou plutôt de vendre assez cher ...) une belle leçon de gestion aux investisseurs en bourse. Si nous ne retenons pas les enseignements de ces trois anni horribiles (approximativement, du printemps 2000 au printemps 2003), alors nous aurons véritablement tout perdu.
Cette remarque est essentielle pour les professionnels de la finance, et capitale pour les particuliers : les professionnels sont encadrés par des règles et des ratios prudentiels limitant, dans une certaine mesure, les risques encourrus. Au contraire, les particuliers ne sont soumis à aucune règle prudentielle, et ne peuvent s’en remettre qu’à leur bon sens (les conseillers bancaires ne sont pas des gestionnaires de portefeuilles, n’en ont pas la responsabilité juridique, ni la formation). Il est donc important de rappeler les fondements d’un investissement en bourse serein et raisonnable, en “bon père de famille” selon l’expression consacrée.
On notera que les recommandations de bon sens énumérées sur cette page s’appliquent à la majorité des épargnants investisseurs en bourse, pour la plupart néophytes. Pour certains épargnants, dont l’aversion au risque est incompatible avec l’investissement en bourse, cette page ne doit pas constituer une incitation à entrer sur ce marché. Pour d’autres, plus familiers des mécanismes boursiers, ce cadre contraignant pourra être amendé en fonction de leur aisance sur les marchés.
La limite basse, c’est zéro
Moins 66% ... Il n’aura fallu que 30 mois au CAC40, l’indice des 40 plus grandes entreprises françaises, pour perdre les deux tiers de sa valeur ! Si un indice généraliste peut, en moins de trois ans, vous faire perdre les deux tiers de votre investissement, il serait incohérent de ne pas envisager comme limite basse, à court/moyen terme, de tout investissement en bourse la valeur 0. Par prudence, on extrapolera ce risque à l’ensemble du portefeuille boursier de l’épargnant, ce qui amène à une conclusion fondamentale : en aucun cas, n’investissez plus que vous ne seriez prêt à perdre totalement dès demain ; ou mieux, n’investissez jamais une somme qui, si elle était perdue demain, entraînerait une baisse de votre niveau de vie (ne jamais être obligé à cause de la bourse, de se “serrer la ceinture”).
Di-ver-si-fiez !
La règle d’or de l’investissement boursier est la diversification : consacrée par un dicton populaire (“ne pas mettre tous ses oeufs dans le même panier”) appliqué instinctivement dans de nombreux domaines de la vie courante, la diversification est hélas souvent oubliée dès qu’il s’agit de placements en bourse. Pourtant, le dicton a raison, et un prix Nobel a récompensé en 1990 Harry Markowitz pour ses travaux sur ce thème à travers la théorie moderne du portefeuille. Entre autres conclusions, Markowitz démontre que l’espérance de rentabilité d’un portefeuille bien diversifié est supérieure à celle d’un portefeuille non-diversifié, pour un risque égal ou inférieur. Des calculs statistiques montrent que les effets de la diversification sont les plus intéressants entre 15 et 20 titres en portefeuille : le gain en réduction de risque devient faible, et donc peu efficient, au delà de la vingtaine de titres. Les gérants OPCVM sont soumis à la règle prudentielle du 5/10/40 : pas plus de 10% sur une valeur, et la somme des titres à plus de 5% ne doit pas être supérieure à 40%. Cette règle aboutit à un nombre minimal de 16 titres en portefeuille. Par ailleurs, même si aucune règlementation ne le détermine, les gérants se fixent des limites sectorielles et géographiques : pas plus de X% sur le même secteur, pas plus de Y% sur le même pays (cela permet de contenir les effets d’un effondrement comme celui des technos en 2000). L’épargnant aura soin d’appliquer ce type de limites, par valeur, secteur, et pays, à son portefeuille boursier. Les niveaux de ces limites sont à définir par chacun en fonction de son aversion au risque : en tout état de cause, le boursicoteur avisé disposera d’un portefeuille constitué, a minima, d’une dizaine de titres, pour cinq secteurs différents, et deux ou trois zones géographiques. Diversifier, c’est bien entendu (quand c’est possible) ne pas mettre toute son épargne en bourse, mais avoir de l’assurance-vie, un Plan Epargne Logement, de l’immobilier, etc ...
La vérité est ailleurs ...
La vérité n’est certainement pas sur les marchés ! En bourse, il n’y a pas de vérité, pas de certitude : c’est un monde par nature aléatoire et imprévisible. Les “bons tuyaux” n’en sont jamais vraiment, les conseilleurs n’étant pas les payeurs ... La légende du “bon tuyau” fait fantasmer les petits épargants, mais fait plus figure de légende urbaine : l’espérance de gain est toujours fonction du risque encouru. A cet égard, il est bon de rappeler l’histoire de la société Provimi : filiale à 54% du groupe italien Montedison, leader de l’alimentation animale, Provimi cotait environ 20 EUR début 2002 à la bourse de Paris. Son PDG, Wim Troost, avait annoncé fin 2001 que la société pourrait être vendue entre 23 et 33 EUR par titre, ce qui laissait envisager une plus-value conséquente, sans risque majeur. Le 10 août, un accord était signé entre Montedison et les fonds CVC Partners et PAI pour une vente au cours de ... 14.50 EUR par titre, 27% sous le dernier cours de bourse ! L’histoire ne s’arrête pas là : de nombreux investisseurs, scandalisés par le prix de vente, ont joué un relèvement du prix de l’offre ; en effet, en achetant à 14.50 EUR les titres Provimi, on risquait, au pire, d’être racheté à 14.50 EUR dans le cadre de la procédure de garantie de cours, et au mieux, on profitait d’un relèvement de cours. Le 29 novembre, le prix était bien revu ... à la baisse ! Arguant d’une dégradation des conditions de marché, les fonds CVC et PAI ont fixé avec Montedison un nouveau prix d’OPA à 13.25 EUR, près de 9% inférieur à la première offre. L’histoire de Provimi mérite de figurer dans les annales (mot choisi, tant les actionnaires ressentent encore une vague douleur dans le bas des reins) des duperies boursières faites dans la plus grande légalité, mais sa vertu principale est de faire réfléchir sur le concept de “bon tuyau”, et de “coup sans risque”. En bourse, on ne rase pas gratis, “there is no free lunch”, comme disent les anglo-saxons : toute espérance de rentabilité traduit un niveau de risque ; à rentabilité attendue élevée, niveau de risque élevé, la loi est immuable.
Ne touchez pas à ce levier !
Le levier en bourse consiste à boursicoter sur plus qu’on ne possède : techniquement, cela revient à emprunter pour investir. Grossièrement, on distingue trois types de levier : le SRD, les contrats à terme (futures), et les options (ou les warrants). Un particulier n’a AUCUNE raison d’utiliser un de ces outils, et la plupart du temps, il n’a AUCUNE conscience du risque sous-jacent, ni AUCUNE connaissance des fondements théoriques de ces techniques. Les plus belles histoires de ruine en 2000 proviennent d’une utilisation inconsidérée du SRD, et les warrants (pourtant prisés par nombre de boursicoteurs) n’ont jamais fait qu’enrichir les banques émettrices, sans jamais faire gagner l’investisseur ... pas plus que la loterie ou le casino. Pis encore, le warrant est un produit complexe, artificiellement simplifié par les émetteurs pour mieux “truffer” les particuliers qui s’y amusent ; une comparaison entre un warrant, et l’option équivalente sur le MONEP permet d’ailleurs de se rendre compte des marges incroyables que prennent les banques, sans compter les techniques scandaleuses, type “bid only” et quotités surévaluées (permettant d’afficher des fourchettes de cotation de plusieurs pourcents, voire dizaines de pourcents). Le levier, c’est le mal, le levier est l’instrument du malin ! La bourse est assez sportive en elle-même pour ne pas y injecter le casino, et le seul résultat qu’on peut raisonnablement attendre de l’utilisation du levier et des produits dérivés par un particulier est la perte du capital. Je vous invite à écouter une réplique de l’excellent film Le Sucre, de Jacques Rouffio : Gérard Depardieu explique à Jean Carmet le fonctionnement d’un marché dérivé, et la raison de sa ruine.
Laissez le trading aux traders
Quand je dis trader, je pense aux véritables traders, des professionnels connaissant parfaitement les rouages de la bourse après des années en salle des marchés derrière des écrans de négociation, et pas des particuliers qui s’improvisent “day trader” (aussi très à la mode en 2000, moins depuis ...) après un ou deux placements réussis. En conséquence, n’utilisez pas la technique de la moyenne à la baisse (qui revient à jouer contre la tendance, ce qui est toujours une mauvaise idée : “trend is your friend” !), évitez les “penny-stocks” et les actions spéculatives qui ne sont que des roulettes de casino, ne multipliez pas vos ordres, et surtout, n’utilisez jamais la technique de la vente à découvert (vendre à découvert = shorter = vader). Anecdote : un collègue, 20 ans de marchés derrière lui, ancien gérant OPCVM, ancien responsable de table de trading, reconverti dans les montages d’opérations financières complexes, me confiait un jour, “j’utilise à peu près tous les produits en finance, des plus simples aux plus alambiqués, mais il n’y a qu’une seule chose dont j’ai peur et que je ne fais jamais, c’est shorter un titre”.
Laissez les autres gagner !
“Si j’ai fait fortune, c’est parce que j’ai laissé les autres gagner de l’argent après moi”, disait le Baron de Rothschild. Sous ce titre un peu provocateur, une simple constatation : on ne vend jamais au plus haut. C’est en sachant vendre, en prenant ses bénéfices, que l’on matérialise sa plus-value en espèces sonnantes, peu importe le parcours ultérieur du titre, et tant mieux pour ceux qui ont gagné de l’argent par la suite ! Lorsque vous investissez sur un titre, donnez vous un objectif de revente dépendant de la réalisation de votre scenario sur le titre (attente d’une OPA, d’un gros contrat, ...), ou d’une valorisation par les ratios de la société. A l’inverse, il est bon d’envisager dès le départ un cours de revente à perte (“stop loss”) pour ne pas se laisser emporter par une spirale baissière : il faut savoir reconnaître ses erreurs (“le marché a toujours raison”) et en minorer les conséquences assez tôt.
Suivez vos titres
De nos jours, au moins 90% de l’information sur les sociétés est aisément accessible au public : journaux, rapports d’activité, communiqués de presse, sites web des sociétés, ... En suivant vos titres, vous améliorez vos chances de revente au bon moment : la lecture d’un quotidien économique sérieux (Les Echos, La Tribune, L’Agefi) est un bon moyen de rester au fait de l’actualité des sociétés, ainsi que des nouvelles macroéconomiques. Il est également plus que conseillé de connaître ses titres dans leur activité : quels sont les produits de l’entreprise, ses clients (concentration géographique, sectorielle, etc ...), la composition de ses revenus (répartition géographique du chiffre d’affaires), ses concurrents, etc ... Les développements d’internet ces dernières années nous ont donné un outil parfait pour ces recherches.
Calculez une valeur liquidative (VL)
La VL d’un OPCVM est la valeur de souscription : lorsque vous confiez 100 EUR à votre banque pour acheter une part d’une SICAV, la valeur de cette part (100 EUR) est la valeur liquidative. Pour la calculer, on divise le total du portefeuille (l’actif net, égal au total des titres achetés par le gérant, et de sa trésorerie non investie) par le nombre de parts. A chaque souscription, le nombre de parts augmente. Le gérant compare l’évolution de cette VL à celle d’un indice de référence, afin de constater le résultat de sa gestion. Sans ce calcul, l’effet des entrées/sorties dans l’OPCVM rendrait la comparaison impossible. Il en va de même pour votre portefeuille personnel : tant que vous ne décidez pas de placer plus d’argent sur votre compte titres, la comparaison est possible, mais elle devient un casse-tête après des dépôts et retraits de liquidités ; il vous faut donc également calculer une VL.
Au départ, vous investissez 10 000 EUR : vous considérez donc que ces 10 000 EUR sont constitués de 100 parts de 100 EUR chacune. Au bout de 6 mois, vous avez gagné 10% : votre capital s’élève désormais à 11 000 EUR, soit pour 100 parts, une VL de 11 000 / 100 = 110 EUR. Vous décidez alors de placer 2 200 EUR supplémentaires sur votre compte titre : avec une VL de 110 EUR, cela correspond à un nombre de parts de 2 200 / 110 = 20. Votre actif à gérer est donc désormais de 13 200 EUR pour un total de 120 parts : 13 200 / 120 = 110 EUR, la VL est toujours la même ; CQFD. Six mois plus tard, vous n’avez plus qu’un capital de 12 900 EUR : cela correspond à une VL de 12 900 / 120 = 107.50 EUR.
Sur l’année, vous êtes passé de 10 000 EUR à 12 900 EUR de capital, ce qui pourrait laisser croire que vous avez gagné 29% ; il n’en est rien, car l’augmentation du capital provient en partie du dépôt. Votre gain est de 7.50%, correspondant à l’évolution de la VL de 100 EUR à 107.50 EUR. Vous pouvez alors comparer les évolutions de cette VL à un indice pertinent, et correspondant à votre gestion (par exemple le CAC40, ou plutôt le CAC40 dividendes réinvestis, pour un portefeuille de titres français).
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